Le coronavirus, réflexion médicale d’un médecin du sport
Je suis médecin du sport, j’exerce en qualité de médecin référent dans une équipe cycliste professionnelle (“Arkéa-Samsic”), j’assure des vacations dans un CREPS , je suis présent dans la boxe profesionnelle et amateur; je suis donc un acteur de terrain; toutefois je ne suis ni virologue ni épidémiologiste, et donc je ne suis pas « expert » pour parler du corona virus. Et donc …. je fais confiance aux experts, ceux qui défilent sur les plateaux télé et ceux qui bossent dans leur service !! Quel autre choix ?
J’ai toutefois un avis sur l’épidémie en cours, avis qui est le résultat de 35 années d’exercice et je pense d’une bonne connaissance du terrain.
Nous sommes le jeudi 5 mars, mon avis résulte de faits objectifs qui se sont déroulés jusqu’à aujourd’hui ; demain on verra … parce que de nouvelles données seront publiées sur l’épidémie en cours, avec peut-être de nouvelles mesures ; toutefois mon idée est que :
- L’épidémie va continuer à progresser, en France en particulier ; pour atteindre un pic, puis décroitre progressivement ; ceci pour une première vague qui sera probablement suivie d’autres vagues, tant qu’un vaccin n’aura pas été trouvé; on peut entretenir l’espoir que ce vaccin sera mis au point avant l’été prochain; les enjeux économiques sont tels qu’on peut faire confiance à l’industrie pharmaceutique pour s’activer …; dans l’espoir toutefois que le virus qui sévit actuellement ne va pas trop muter ; et que le virus actuel procure une immunité suffisante de sorte que les patients atteints aient constitué des anticorps efficaces qui les protègent pour ne pas être réinfectés, mais quelques travaux semblent montrer que l’immunité peut être de courte durée.
- De nouveaux décès vont survenir ; surtout auprès de la population âgée ; les enfants et les jeunes adultes apparaissant pour l’instant moins vulnérables ; probablement que la virulence de ce virus est « moyenne », et que seules les personnes fragiles (âge, pathologies, moindres défenses immunitaires) sont atteintes par les complications de cette atteinte virale.
- Le nombre de cas est bien évidemment très sous-estimé, de nombreux patients peu symptomatiques (ou porteurs sains) ne sont pas dépistés et donc ne sont pas comptabilisés.
- Le risque est de se heurter très rapidement à un manque de personnel soignant , ceci me semble la principale difficulté.
Alors on fait quoi ?
Plutôt que d’écouter les propos de type « il aurait fallu, il faut qu’on, on n’a qu’à », je fais confiance aux Autorités sanitaires de notre pays qui regroupent des virologues, des épidémiologistes, bref des scientifiques. De même que je fais confiance aux Autorités sportives, en particulier les organisateurs de courses. Même si bien sûr 2 aspects viennent troubler le débat : les aspects politiques avec la com, la tentation de « marquer l’histoire » avec une “bonne” gestion de la crise, et l’éloignement salvateur de certains autres débats de terrain qui “fâchent” : le débat sur les retraites par exemple ; et les médias : les chaînes continues -radio et télé- tiennent en haleine la population et accentuent la psychose; pas facile car en même temps le citoyen veut être informé. Et puis certains politiques n’ont peut-être pas envie d’être poursuivis en justice (cf la période de la canicule avec ses suites judiciaires)
Je suis médecin, sur le terrain ; on me dit qu’il faut que j’utilise des gels hydroalcooliques : ok mais …. il n’y en a plus !! Merci à l’OMS de nous avoir fourni la recette pour fabriquer ce gel ; avant mon départ sur Paris-Nice je viens d’en fabriquer 4 litres. Je dois aussi remettre aux patients enrhumés un masque : ok, le pharmacien m’a remis une boite de 50 masques chirurgicaux (qui sont loin d’être protecteurs à 100%) ; et que fait le médecin généraliste avec cette boite de 50 masques s’il voit 30 ou 40 patients par jour ???? C’est quoi cette société où chacun dispose du tout dernier smartphone, où via Amazon on reçoit dès le lendemain une commande passée sur le Net, et …. où on n’est pas capables de fournir en quantités suffisantes des gels et des masques, et pour les soignants des lunettes, des surblouses ?? Ce qui semble la SEULE solution c’est de tester, VITE, et d’isoler les patients positifs; pendant combien de temps ?? Les experts doivent être en mesure de nous le préciser.
Je vais (si la course est maintenue …) partir sur Paris-Nice, puis le Tour de Catalogne ; certaines courses en Italie ont été annulées et une incertitude persiste sur Tirreno-Adriatico et Milan-San-Rémo: faisons confiance aux Autorités sanitaires et sportives italiennes qui -tout comme nos Autorités en France- sont responsables et font tout pour prévenir l’extension de l’épidémie. Et donc comment je vais gérer médicalement ma présence sur ces courses ? :
- Le gel hydroalcoolique : on va en distribuer aux coureurs, aux membres du staff ; dans le bus, les véhicules, les chambres, à table. De même que des mouchoirs papier à usage unique.
- Les masques : son port par les coureurs et par tout le staff sera imposé à l’hôtel, en chambre, dans les couloirs, dans le bus; les masseurs devront porter un masque pendant le massage.
- La consigne sera donnée aux coureurs ne pas se livrer à des interviews en face à face ; à ne pas serrer de mains, à se tenir éloignés de la foule ; la Ligue (présidée par Marc Madiot) va énoncer des mesures cohérentes : interdiction de donner un bidon à un spectateur, rappel des mesures d’hygiène, prise des repas dans une pièce isolée, etc. etc.
- Mais ….. je fais quoi si un coureur ou quelqu’un du staff est sérieusement enrhumé ? En théorie le patient doit appeler le 15 pour se faire guider sur la conduite à tenir ; en qualité de médecin d’équipe et donc amené à gérer une médecine ambulatoire je souhaiterais qu’une logistique soit mise en place pour que les personnes (coureurs et staff) suspectes bénéficient d’un test de dépistage rapide, avec rendu rapide des résultats. D’autres médecins d’équipe partagent cette demande de terrain.
Et le coureur il en pense quoi de ce virus ? C’est à lui qu’il faut poser la question mais à l’issue des nombreux contacts quotidiens que j’ai avec « mes » coureurs, j’affirme que la sérénité est présente ; les gars se sont entraînés dur pendant l’hiver et aimeraient pourvoir en « découdre » sur les courses ; en même temps ils savent que leur santé est la priorité. Avec l’annulation des courses en Italie, notre staff sportif passe des nuits blanches pour mettre en place des plans B: autres courses, stages.
Avant de terminer cette réflexion de terrain, je ne peux pas m’empêcher de rappeler que la « simple » grippe tue des milliers de français chaque année, le tabac et l’alcool des dizaines de milliers chaque année … Si nos politiques pouvaient dégager autant d’énergie et de cohérence sur la lutte contre l’alcool et ses lobbyings …, le tabac, le Sida … même si autant qu’eux je suis conscient que le marché de l’alcool fait vivre de nombreuses régions en France.